Les armes chimiques dans l'histoire

Dès l'antiquité gréco-romaine, les premières "armes chimiques" ont fait leur apparition lors de différents conflits. D'abord rudimentaires (simples poisons tirés de plantes), elles se sont perfectionnées au fil des siècles - au même titre que l'armement en général - et ont été de plus en plus employées notamment lors de la guerre 1914-18.

A la fin du siècle dernier, les nations ont pris conscience de la nécessité d'interdire l'emploi des armes chimiques. Un certain nombre de conventions et de protocoles d'accord ont ainsi vu le jour. Le dernier acte en date et le plus important est la Convention pour l'Interdiction des Armes Chimiques, entrée en vigueur le 29 avril 1997.

 

Bref historique des armes chimiques

Antiquité gréco-romaine

  • Puits empoisonnés à l'ergot de seigle (Assyriens et Perses, VIème et IVème siècles av. J.C.);
  • Racines d'ellébore dans le fleuve Pleikos (Solon, 600 av. J.C.);
  • Engins incendiaires et gaz sulfureux poussés par le vent sur des cités assiégées (ex : Démosthène à Sphactérie contre les Spartiates - guerre du Péloponnèse - 428-424 av. J.C.);
  • Fumées suffocantes et cendres caustiques soulevées par les cavaliers romains (Siège d'Ambrasie - 187 av. J.C.);
  • "Feu grégeois" : fumées toxiques à base de pâte incendiaire inventées par le grec Kallinikos (673). Le "feu grégeois" restera pendant cinq siècles l'arme secrète de Byzance contre les Turcs. Plus tard ceux-ci se l'approprient pour conquérir l'Empire Grec (XIVème siècle).
     

Moyen-âge et Renaissance

  • Vapeurs toxiques et somnifères (Hassan Abrammah, fin du XIème siècle) ;
  • Barriques de chaux vive aveuglante catapultées par la flotte anglaise sur des vaisseaux français (milieu du XIIIe siècle) ;
  • Bombes, grenades ou chiffons enflammés à l'arsenic (par les défenseurs de Belgrade contre les Turcs en 1456 - fabrique d'armes de Berlin 1457);
  • Flèches empoisonnées par du curare (les Indiens d'Amazonie les utiliseront jusqu'au XXème siècle) - batracyotoxine de grenouille (à Hawaii) - Acotinine (par les Maures en Espagne en 1483) ;
  • Engins divers à base de soufre, mercure, térébenthine et mêmes nitrates et autres "stratagemae" cités dans de nombreux traités militaires. Ils ne furent utilisés que pour des objectifs restreints ;
  • Boulets agglomérés "empoisonnant" les assaillants du haut des murailles (XVème siècle) ;
  • "Pots puants" et bombes toxiques, utilisés en grande quantité, par les Impériaux (guerre de Trente ans - 1635-1648).
     

XVIIIème siècle

  • Fabrication d'engins plus perfectionnés à l'arsenic, orpiment, plomb, céruse, minium, vert-de-gris, antimoine avec adjonction de belladone, euphorbe, ellébore, aconit, noix vomique et venins (!) (cités par l'auteur militaire allemand Flemming - 1726). On ignore s'ils furent utilisés.

 

XIXème siècle

Des projets non réalisés du fait de la priorité donnée à la balistique et au canon et du discrédit attaché aux armes "empoisonnées" :

  • Plan anglais pour enfumer mortellement la garnison russe de Sébastopol avec 500 t de soufre et 200 t de coke (guerre de Crimée, 1854-1855). Non exécuté, pas plus que l'emploi prévu de bombes à la liqueur de "Cadet de Gassicourt" ;
  • Mise au point d'obus au chlore contre les Sudistes (Etats-Unis - guerre de Sécession 1861-1865). Le projet fut rejeté.

 

Epoque contemporaine : la guerre 14/18

  • 22 avril 1915 : près d'Ypres, 6 000 cylindres (30 000 selon certains auteurs) contenant 180 tonnes de chlore sont répandus par deux bataillons sur 6 km de front. Poussé par le vent, le nuage de gaz causera la mort de 5 000 soldats et en mettra 1 500 hors de combat, provoquant une intense panique ;
  • 31 mai 1915 : nouvelles attaques plus meurtrières par mélange chlore-phosgène sur le front russe : 12 km sur la Bsura-Rumka. On dénombrera 9 000 victimes, dont 6 000 morts, à la suite de l'utilisation de 12 000 bouteilles de gaz ;
  • Juillet 1915 : 100 000 obus "T" (bromure de benzyle) sont tirés au canon de 155 en Argonne ;
  • Mars 1916 à Verdun : emploi d'obus de 75 de phosgène à effet mortel foudroyant ;
  • Juillet 1916 pour l'offensive de la Somme : emploi d'obus à l'acide cyanhydrique ;
  • Mars 1917 : épandage de phosgène par avion provoquant d'importantes concentrations mortelles de phosgène ;
  • Juillet 1917: la guerre chimique atteint son paroxysme avec l'ypérite ou "gaz moutarde" (sulfure d'éthyle dichloré) dans la région d'Ypres - d'où son nom. Son action toxique n'est pas que respiratoire. C'est un vésicant persistant et insidieux, provoquant des brûlures intolérables. L'effet psychologique est désastreux. 9 500 t de ce gaz sont fabriquées ;
  • Septembre 1917 : première utilisation des "Clarks" à base d'arsines, produits vomitifs et nauséeux que les filtres à masques ne peuvent arrêter ;
  • 1918 : utilisation massive d'obus à gaz agressifs par les belligérants. Au cours des attaques, 25% environ des projectiles utilisés de part et d'autre sont des obus chimiques.
     

Bilan :

Les pertes totales dues aux gaz de combat - surtout l'ypérite - bien que réduites considérablement grâce aux perfectionnements apportés aux masques et autres moyens de protection immédiate, ont été de 1 300 000 hommes (dont près de 100 000 morts au combat), alors que les pertes par les autres armes sont évaluées à 26 700 000 hommes (dont 6 800 000 sont morts au combat). Les survivants eux-mêmes, atteints de lésions plus ou moins graves consécutives à l'emploi des gaz, furent bien souvent victimes ultérieurement de maladies infectieuses mortelles. Les estimations, dans ce domaine, apparaissent bien inférieures aux pertes réelles.

A noter que ce furent les troupes russes qui subirent les pertes les plus lourdes par les gaz  avec 11%  de décès dus aux gaz, la moyenne sur l'ensemble des belligérants étant de 7%.

 

L'Entre-deux guerres

  • 1920 : en Russie, utilisation d'armes chimiques pendant la guerre civile ;
  • 1925 (année du Protocole de Genève) : pendant la guerre du Rif, utilisation d'ypérite ;
  • 1935-36 : emploi massif d'ypérite contre les guerriers abyssins contribuant à l'écrasement de l'Ethiopie ;
  • A partir de 1937 et jusqu'en 1941, le Japon, gros producteur d'ypérite et d'arsines dans l'île d'Okino-Shima, fait usage de toxiques contre la Chine, notamment lors de l'attaque d'Yichang (ypérite et lewisite ; ces produits cesseront d'être utilisés par la suite en raison de la découverte de l'antidote B.A.L.).

 

La Seconde Guerre Mondiale

Sauf en Extrême-Orient, quasiment aucune arme chimique ne fut employée par les belligérants, en raison :

  • du caractère nouveau des campagnes menées : "Blitz Krieg", guerres de mouvement d'abord à l'instigation des forces de l'Axe, puis par les Alliés disposant très vite de la suprématie aérienne ;
  • de l'effet dissuasif des moyens dont prétendaient disposer les Alliés dans ce domaine face à ceux de l'Allemagne notamment : stockage et production massive de nouveaux toxiques - Tabun et Sarin entre autres - des efforts similaires étant réalisés par les Russes, même durant l'avance des troupes hitlériennes jusqu'à Stalingrad (1942).

Il n'est pourtant pas certain qu'il y ait eu un réel "équilibre" dans le potentiel d'armes chimiques des uns et des autres.

 

L'Après-guerre

Dans les années 50, marquées par la "guerre froide", s'amorce un tournant décisif : les Etats-Unis et les forces de l'OTAN d'une part, l'URSS et ses satellites du Pacte de Varsovie de l'autre, rivalisent dans la recherche et la production massive d'armements chimiques de plus en plus sophistiqués et efficaces.

  • Entre 1963 et 1968 : l'Egypte utilise de l'ypérite au Yémen, les Etats-Unis de la dioxine au Vietnam ;
  • En 1973, pendant la guerre du Kippour, les Israéliens interceptent divers matériels soviétiques révélant les capacités nouvelles de l'URSS à mener une guerre chimique ;
  • Cette orientation sera confirmée lors de la guerre d'Afghanistan (1979-83), offrant aux Russes un champ d'expérimentation de nouveaux produits chimiques difficilement décelables ;
  • De 1975 à 1983, le Vietnam utilise une grande quantité de toxiques et toxines contre les rebelles laotiens et surtout au Cambodge (rapport Haig) ;
  • De 1982 à 1988,  l'Irak utilisera des armes chimiques en diverses occasions :
    • A) guerre Iran-Irak : l'Irak utilise l'ypérite, le cyanure et le tabun contre les troupes iraniennes qui subissent de lourdes pertes (10 000 blessés graves, nombre de morts non connu).L'affaire d'Hallabjah (1988), "simple" opération de maintien de l'ordre, conduira à la mort de 5 000 manifestants ;
    • B) la guerre du golfe (1990), "événement majeur de l'histoire de la guerre chimique" constitue le point culminant de la menace qu'a fait peser sur la communauté internationale l'arsenal chimique dont disposait alors Saddam Hussein, mettant l'Irak au 3ème rang mondial avec près de 50 000 obus et bombes à l'ypérite, au sarin et sarin cyclohexylique ;
    • c) de même, contre les Kurdes et Chiites du Sud, il ne fait plus aucun doute que tabun et ypérite ont été utilisés massivement, faisant des milliers de morts.

De décembre 1987 à décembre 1990, les Etats-Unis, après 19 ans d'interruption, reprennent la production d'armes chimiques entièrement binarisées pour rattraper leur retard face aux Soviétiques.

 

Quelques accidents... et incidents

  • 1968 : USA, un chasseur Phantom partant de la base de Dugway (Utah) pulvérise par erreur du VX, 6 000 moutons sont tués ;  
  • 1969 : Belgique, fuite de 1 ou 2 barils d'ypérite au large des côtes; phoques et poissons tués, quelques pêcheurs et enfants (sur les plages) brûlés ;
  • 1972 : à Fort Greely (Alaska), 50 rennes sont tués par du sarin (200 cartouches ont été entreposées sur le lac gelé en 1966, englouties lors de la fonte) ;
  • 1979 : près de Hambourg (Allemagne), un enfant est tué par du tabun (stock de cartouches) ;
  • 1990 : Lybie, dans le désert à Tarhunah (65 km de Tripoli), l'usine de Rabta, considérée comme la plus importante usine d'armes chimiques au monde, est détruite à la suite d'un incendie mystérieu ;
  • 1995 : une attaque terroriste au sarin dans le métro de Tokyo fait des dizaines de victimes (8 morts) ;
  • 2007 : des attentats chimiques à base de chlore sont perpétrés sur le territoire irakien contre la population ;
  • 21 août 2013 : l'ONU confirme l'usage de sarin dans la banlieue de Damas en Syrie.
  • 26 avril 2017: Attaque chimique en Syrie - Déclaration de Jean-Marc Ayrault à l’issue du Conseil de défense (Dossier et annexe)